samedi 27 août 2011

Esprit es-tu là ?



ESPRIT ES-TU LA ?
  
  
Si tu es là, frappe un coup ; si tu n’es pas là, tape deux coups. Le mauvais esprit frappe toujours deux fois, comme chacun le sait.
 
La scène se déroule dans une classe de philosophie, sous la présidence d’un Prof’ aux cheveux touffus et regard charbonneux. Quand il pose une question il ferme automatiquement l’œil droit et ouvre le gauche; lorsqu’il entend une réponse, il le ferme et ouvre le droit. Quand il parle, les deux yeux sont ouverts. Ses élèves l’appellent, irrévérencieusement, le « Grand Clignotant ». Ce jour-là, le thème était : le Silence.
   
- « Aujourd’hui, nous allons disserter sur le silence. Quelqu’un peut-il me dire ce qu’est le bruit ? Oui ! Ah, vous là-bas, CANCRE – Là. Je vous écoute ».
 
« M,sieur, le bruit c’est ça ! »
 
Et il frappe, fort, sur le pupitre de son bureau, avec le poing. La classe s’esclaffe.
 
- « Cela ne m’étonne pas de vous, CANCRE-Là ! Y a-t-il un esprit supérieur qui a une autre approche, une idée ? Ah, vous CANCRE-Ici. Je vous entends ».
 
« M,sieur, le bruit c’est quand mon voisin pense ; il y a des grincements dus à la rouille ».
 
- « Allons, un peu de sérieux ! Vous là-bas ? »
 
« C’est quand un milliardaire dit que l’argent n’a pas d’importance et que le pauvre pense pareil » !
 
- « Ah, c’est mieux ! Voilà de la graine de philosophe. Quel second degré dans la métaphore ! Admirable. Un autre ? »
 
« C’est quelqu’un qui dit qu’il fait le bien autour de lui ».
 
- « Bien ! C’est mal de dire que l’on fait le bien ! Le bruit de l’orgueil ne fait pas de bien ; le silence de l'humilité, oui. Un autre ? »
 
« C’est quand ma sœur ronfle, la nuit ; j’ai beau lui dire que  ronfler nuit, elle nuit ».
 
- « Est-ce tout ? »
 
« Non M,sieur, j’ai mieux. Depuis qu’un auteur a écrit : « entends-tu ce silence », tout le monde en parle. Quel vacarme, quel tintamarre de cervelles ».
 
Le Prof’ ouvre les deux yeux ; il va donc expliquer.
 
- « Déjà, nous constatons que beaucoup de bruit existe autour du silence. D’ailleurs, c’est la condition sine qua non de l’un et l’autre. Sans contraste, rien n’existe. Le silence est, à condition de pouvoir entendre le bruit. Mais il faut mettre un bémol à ce constat car il n’y a pire sourd que celui qui ne veut rien entendre. »
 
« M,sieur, moi j’ajouterai une dièse à votre note en disant qu’un silence n’est pas un soupir ; il y a le silence du Sage et le soupir de l’idiot ; ou bien l’inverse. »
 
Le Prof’ plisse l’œil.
 
- « Quelle est la nature du silence ? Je vous écoute CANCRE-Là »
 
Il plisse l’autre œil.
 
« D’être, tout simplement » !
 
- « Ah ? Oui, CANCRE-Ici ».

« De ne pas exister, tout simplement ! Afin d’être. »
 
- « Vous voulez me faire croire que vous avez lu SHAKESPEARE ; j’eus souhaité entendre « to be or not to be, that is the question ». Quand est-ce que vous allez m’étonner, un jour, vous deux là-bas ? Mais il n’est pas interdit d’espérer. Vous faites des progrès depuis quelque temps. »
 
Le Prof’ clignote puis ouvre grand ses quinquets.
 
- « Messieurs, comme d’habitude je constate l’énorme travail qui est le mien. Vous serez, assurément, des Philosophes un jour car la vie s’en chargera ; toutefois, vous ne l’êtes pas encore, aujourd’hui, et il nous faut avancer. Des tonnes de livres ont parlé du silence. En Asie, dans les pays bouddhistes excellemment, depuis des millénaires quelques « coupeurs de cheveux en 4 » ont meublé le Vide de traités bruyants sur la notion de silence. Si vous étudiez, un jour, les philosophies bouddhistes vous constaterez combien ce sujet occupa, occupe toujours, leurs cerveaux en un tumulte permanent. A telle enseigne qu’il n’est pas incongru de constater que, jamais, le Silence n’aura fait autant de Bruit. Aussi, la meilleure étude sur le Silence se résumera à l’appliquer. Je réclame donc une minute de silence ».
  
« Chut », cria CANCRE-Là. « Chut » reprit CANCRE-Ici. « Chut » entonnèrent en chœur tous les autres membres de la classe.
 
Le Prof’, les yeux malicieux, se leva et lança, d’un ton ironique :
 
- « Messieurs, vous avez répondu avec justesse au sujet du silence. Avec bruit, cela va de soi. Car il est l’Intelligence du Sage et la Prudence de l’Ignorant. Il constitue la clef intérieure de la Supra Conscience. Découvrez-la et souvenez-vous en toute votre vie. Et ce sera ma chute. Chut, bien sûr et ne le répétez surtout à personne. Car, et cœtera ! »
 
Il fit un geste avec sa main droite et tourna les talons. En riant, bien sûr, mais pas trop néanmoins. Il ajouta, brièvement :
  
- « Le sujet de votre dissertation est : « Quel est le sens de la phrase du Philosophe : L’orange est bleue ». A me rendre dans la semaine, en quinze pages recto verso et dactylographiées en petits caractères et à l’écartement minimum. Je veux du travail personnel ; pas de compilation, ni de plagiat. J’exige que vos tripes accouchent de vous-mêmes. Je veux des Philosophes de l’Être ».
  
Les élèves se levèrent, silencieusement. L’un commenta :
  
« Une orange bleue ? Il était daltonien ! Qu’est-ce que je vais pouvoir répondre, moi ? Il est terrible le « Grand Clignotant » !
   
« Moi, je sais ce que je vais écrire », affirma CANCRE-Là.
  
« Moi aussi », reprit CANCRE-Ici !
 
« Ah ! Quoi donc ? »
 
« Pour un scientifique, le raisonnement pourrait être le suivant : Une orange n’est pas bleue, sauf modification génétique qui n’existait pas à son époque. De plus, le Philosophe ne souffrait d’aucune anomalie neurologique, à plus ample informé ; se serait-il nommé Arthur RIMBAUD, ou HITLER et l’un de ses sbires, que j’eus suspecté l’absorption de mescaline (Peyotl) qui a la propriété de transformer les sons en couleurs et de provoquer d’autres hallucinations visuelles et auditives. Non, il s’agit d’un authentique Philosophe, d’un réel Aristocrate de la pensée et du sentiment. Donc, il faut réfléchir au 3° degré de compréhension. »
 
« Quoi donc ? »
 
« Le Philosophe a pu vouloir signifier que, vue de l’esprit, la couleur pouvait s’apparenter à la notion de Dogme. Ne pas être dogmatique et, comme l’enseignait Charles PEGUY, casser les idées pour voir au-dessus et plus loin. En réalité, il convient de ne jamais s’identifier à un concept, une notion qui, toutes deux, relèvent d’Hypothèses inhérentes à l’Existence. »
 
Le Prof’, qui avait tout entendu, s’approcha du groupe d’étudiants en jachère :
 
- « Vous avez presque tout compris. Cependant, méfiez-vous, car si vous aviez affaire à un psychiatre, vous seriez enfermés dans un asile psychiatrique. Les psychiatres ne sont pas des philosophes ; ce ne sont que des techniciens. Un psychologue comprendrait mieux ; et encore. Les Sciences Humaines n’en sont qu’au balbutiement et la psychiatrie n’a que 8O ans d’âge. Elle se cherche et n’oubliez jamais que, pendant la guerre 1939/1944, les malades mentaux étaient gardés, à l’hôpital du Vinatier à Bron (Rhône), par des anciens détenus libérés des prisons pénales Saint Paul et Saint Joseph de Lyon (Rhône). C’est le psychiatre LEMOINE, chef de Service dans ce même hôpital, qui vient de publier tous les scandales de malades mentaux, croupissant dans leurs déjections, meurtris par les coups des « matons » recyclés infirmiers psychiatriques ; certains débiles dévoraient leurs doigts en pensant qu’il s’agissait de lutins. C’est une référence mais il a provoqué la colère de tous ses confrères ; et pour cause. Pour un psychiatre, un Philosophe est presque toujours un fou. Méfiez-vous ; toujours ! La vie, c’est de rester sur ses gardes, sans cesse. On ne peut avoir confiance en personne ! Et ce sera la justification du Silence ; non dogmatique. »
  
- « Ah ! Méfiez-vous des gens trop riches ! Ils souffrent du syndrome de Diogène-Harpagon-Icare ; ne les fréquentez jamais et, dès qu’ils se révèlent à vous, rejetez-les. Car :
 
« On ne ramasse pas l'argent à regonfle sans le tirer de la poche de quelqu'un. »
 
Maxime des canuts lyonnais.
  
- « Une personne trop riche est tellement infatuée d’elle-même, que tous les humains ne sont, pour elle, que des objets qu’elle dominera avec superbe. Elle se croit tout permis... Les vertus du Silence sont inaccessibles aux Riches. »
  
Le silence s’installa sur les pupitres et, à la gloire de ses pouvoirs, on n’entendit plus que le grincement des plumes sergent major qui distillaient, sur le papier pâli par le temps, les miracles de la pensée non enchaînée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire