mercredi 10 août 2011

La Muraille aux 7 portes


"Tout imbécile est capable de devenir un héros, à un moment donné.
Mais le vrai grand homme est grand dans la vie la plus ordinaire".

VIVEKANANDA


UN PORT POUR LA VIE

L'homme avait marché longtemps. Son pas n'avait laissé aucune trace sur la terre de sa souffrance, ni dans le ciel de son espérance. Sueur, sang et larmes s'étaient dissous dans la fournaise du temps.
 
Il avait marché à quatre pattes, puis à deux et à trois et encore quatre. Après s'être redressé de l'enfance des idées, il avança sur les deux jambes de sa raison, mais la fatigue nécessita des cannes idéologiques qu'il emprunta à tous les "être" et à tous les "avoir". Aucune ne le satisfit entièrement car, ou bien il restait plus jeune qu'elles, ou bien il se trouvait plus vieux. Alors il en jetait une pour en reprendre une autre qu'il abandonnait tout aussitôt. Il lui arriva même de marcher avec deux cannes. De canne en canne, de chute en chute, il marchait.
 
Son Maître était le temps. Inexorable, le dieu CHRONOS surveillait du haut de son Olympe le sablier qui gérait sa misérable vie d'errant.
 
Il savait que ce Maître était terrible et sa pédagogie redoutable. Sa méthode était simple, mais efficace; CHRONOS soumettait d'abord l'homme à l'épreuve et ne lui apprenait la leçon qu'après. Un peu comme si l'on subissait l'examen pour un doctorat sans être d'abord passé par l'université au préalable. Puis, après ces leçons implacables, il détruisait son élève en retournant le sablier de vie, de mort.
 
L'errant avait donc marché plus vite encore, afin d'accélérer le processus de ses expériences et, peut-être, comprendre le sens de sa longue marche avant la fin du sablier, avant sa propre fin. Sa condition humaine lui était absurde. Pourquoi? Pourquoi? Interrogeait-il sans cesse. Et il marchait...; il courait maintenant, après avoir jeté ses dernières cannes.
 
Le temps est implacable; il use avant de tuer. Aussi l'errant fléchit, se fatigua et finit par s'arrêter de marcher. Il était devenu vieux et la fin du sablier était là. Il était très las, de tout et de rien. Las, c'est tout.
 
Il s'arrêta donc, accablé, assis sur un tronc d'arbre abattu par le vent de septentrion qui avait courbé l'orgueilleuse forêt comme de frêles roseaux, pendant toute une semaine de véhémence justicière. Il aimait cet endroit, situé dans un pays sans nom, dont la solitude satisfaisait l'errance de son âme. Son regard se dissolvait dans les frondaisons obscures.
 
L'étrange calme qui régnait en ce lieu, mêlé aux inaudibles vibrations de la vie végétale et animale, provoqua chez le vieillard une sorte de torpeur. Il en émergea pour se retrouver dans la vision onirique d'un temple de pierre morte, de genre indien, tout auréolé d'un soleil ardent.
 
Cet édifice comportait trois tours dorées, surmontées d'une autre blanche, qui pointait vers le ciel. Flanqué de sept murs immaculés, le temple ne comportait pas de porte visible et semblait une muraille de pierre, géométrique.

   
    

    "Avant de prétendre à éclairer  les autres,
allume donc ta propre lanterne, d'abord".

PAROLES DU SAGE
                                                            

                                                        LA RENCONTRE
 
 
L'œil intérieur du vieillard contemplait l'étrange citadelle entourée d'arbres exotiques, et sans présence humaine. Seules des perruches, et d'autres oiseaux multicolores, meublaient de leurs cris stridents un silence rendu encore plus dense par contraste. Il entreprit de découvrir l'entrée du temple.
 
Il tourna une première fois autour de l'édifice, puis une seconde, une troisième et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il s'arrêtât, épuisé. Il n'y avait rien! A quoi peut donc servir une telle architecture sans porte? A moins qu'il s'agisse d'une sorte de pyramide comme en Egypte, pensa-t-il, fatigué et déprimé.
 
Il était las des questions sans réponse qui angoissèrent toute sa vie. Voilà qu'à la veille de sa mort, on ne lui laissait même pas la paix. Quel diable le poursuivait-il donc depuis sa naissance?
 
A peine s'eut-il interrogé de cette diabolique manière, que l'intuition le porta à scruter la muraille. Il y observa une ombre portée; la sienne. Il eut le sentiment que c'était le diable en personne qui avait répondu à son appel; mais pourquoi donc lui ressemblait-il? L'ombre découpait comme un portail dans la pierre et cette impression se transforma en une certitude angoissante que la porte se trouvait là.
 
Le vieillard tendit une main, tremblante, vers la pierre froide et sombre, qu'il toucha. La dureté minérale le fit sursauter. Il retira la main et regarda son ombre. Tout à coup, une petite voix venue de nulle part murmura:
 
"Cette porte est la première. Elle est fermée sur la vérité car elle est le reflet de ton ignorance, la projection ténébreuse de tes passions. As-tu aimé? L'Amour est la clef qui ouvre ce portail; sans elle, l'ignorance sera toujours ton lot et tu vogueras d'existence en existence toujours aussi indigent. Si tu veux devenir lumière, il te faut d'abord dissoudre l'ombre que tu portes en toi. A ce moment-là, seulement, le premier portail de la citadelle de la Sagesse s'ouvrira".
  

La voix s'arrêta.
  
Le vieillard recula et pleura. Il n'avait jamais aimé réellement. Il ne s'était intéressé aux gens, à sa famille et à ses proches, non pas pour eux-mêmes, mais pour la nature des relations qu'il en attendait. Il pleura sur lui-même, en bon égoïste qu'il était. 
  
C'est alors que la petite voix reprit:
 
"J'ai de la compassion infinie pour toi et tous ceux qui souffrent. Viens voir la seconde porte".
  
L'homme sentit son regard attiré par le deuxième pan de la muraille, lisse comme la mort. Il s'en approcha et découvrit que son ombre n'y était plus portée.
 
La voix minuscule continua:
 
"Ici se trouve la seconde porte qui, comme les autres, ne s'ouvre qu'après la précédente. Une fois l'ignorance vaincue par l'Amour, le premier portail se découvre et permet l'ouverture du second. La seconde clef s'appelle harmonie entre les actes et la parole. Il convient de ne pas exiger des autres plus de vertus que, soi-même, on n'est capable d'en apporter la preuve et le vécu. As-tu compris, noble vieillard ?
  
Il s'était arrêté de pleurer et écoutait...
  
Un grand silence s'était installé et les oiseaux s'étaient tus depuis quelque temps déjà. La voix du secret fut telle qu'il crut que la pierre criait. Effectivement, elle lui parlait encore, de ses lèvres muettes:
  
"Et voici le troisième portail, au troisième pan de la muraille qui ne s'ouvre qu'avec la clef patience, que rien ne peut irriter. Es-tu patient? Il s'agit de la faculté du cœur à orienter son énergie vers l'autre."
  
Le vieillard restait figé dans l'écoute.
 
La pierre haleta, le dirigeant vers le quatrième pan de la muraille:
 
"Ici se trouve le quatrième portail de la délivrance des chaînes passionnelles. La clef en est l'indifférence aux louanges, comme aux critiques; les unes comme les autres ne flattent ni ne nuisent. L'illusion des passions, disparue, alors la vérité intérieure poind".
 
Le vieillard était devenu hiératique.

Le silence était toujours aussi pesant, la muraille étincelante et lisse. La pierre continua d'une voix minuscule:
 
"Approche-toi, noble vieillard, du cinquième pan. Là est la cinquième porte de la Sagesse. La clef en est l'énergie indomptable qui doit te gouverner vers la Vérité, à travers les ténèbres du mensonge. La Vérité est l'état de la conscience totalement éveillée et achevée, quand l'Amour et la Connaissance y sont mariés en des noces célestes. Comprend avec ton cœur, ce que tu ne peux pas comprendre avec la tête et, alors, cette clef descendra de ton ciel".
 
Le vieillard se pétrifiait de plus en plus.
 
La voix du silence continua, inexorablement:
 
"La sixième porte a pour clef l'état sans ignorance ni karma. C'est la libération passionnelle qui transforme en SAT (être). As-tu compris, noble vieillard?"
  
L'homme était devenu rigide comme un minéral, cristallisé. La pierre, compatissante, voulut alors terminer rapidement, en des mots qui devinrent si tenus qu'ils se confondirent avec le frémissement des feuillages, sous la lune qui venait de succéder au soleil couchant:
 
"La septième clef ouvre la dernière porte. Quand la conscience fusionne avec son homologue cosmique, alors l'être humain est devenu "fils de Dieu". Les trois tourelles symbolisent le triple état ETRE - CONSCIENCE - FELICITE. La dernière et ultime tour TE représente quand tu as ouvert tous les portails et réalisé ton SOI".
  
De la pierre jaillit comme un rayon de lumière blanche qui frappa le vieillard, mort sur sa bûche. C'est alors qu'un phénomène étrange se déroula devant les étoiles qui en pâlirent, un instant. Devant la conscience de l'homme mort, le temple de pierre disparut en sa forme cristalline et revêtit une texture d'air tissé, puis de lumière brodée, qui illumina les grottes où se tapissent les axolotls. Puis, tout s'éteignit. Il ne restait plus rien du temple disparu.
 
En une dernière lueur de lucidité mourante, le vieillard entendit un voix venue du fond des étoiles, dans les abysses de la mer immense où roulent galaxies et trous noirs, et qui lui dit:
 
"Le temple que tu as vu, c'était toi. Tu as contemplé des pierres qui te semblaient mortes car tu t'étais fermé à leur vie, à ta vie. Elles sont réellement vivantes. Ouvre-toi à ton cœur et les portes du temple s'ouvriront. Alors, seulement, tu deviendras VIE et LUMIERE; alors seulement tu seras d'air tissé et d'étincelles brodées. Tu marcheras au-dessus de l'eau bourbeuse des passions puis, devenu promeneur d'étoiles, tu pêcheras la lumière éternelle."
  
Il y eut comme une comète qui déchira le ciel.
  
Un axolotl, qui était sorti de sa grotte obscure, se transforma en animal parfait, une salamandre.
  
Axolotl : mot mexicain désignant la larve d'Amblystome (batracien Urodèle - Salamandrines - d'Amérique). Vivant dans les grottes marécageuses, obscures, du Mexique, l'axolotl possède la particularité de se métamorphoser en animal parfait (Salamandre) dès qu'il est extrait de la grotte pour être mis dans une mare à l'air libre. Auparavant, cet animal était donc prisonnier d'un cul de sac évolutif qui l'obligeait à rester à l'état larvaire et à se reproduire comme tel; sans jamais parvenir au stade de la Salamandre.
   
Par analogie, l'être humain peut être considéré comme un axolotl, tant qu'il ne s'ouvre pas à l'évolution universelle.

"Gnose et Gnosticisme" par Edmond FIESCHI, paru aux Editions A.C.V. à Lyon (Rhône) - France (Toute autre publication serait une escroquerie et nous remercions toute personne, ayant connaissance de ce méfait, de nous en informer aux fins de poursuites judiciaires).

"Initiations à la Lumière d'Orient" par Edmond FIESCHI, paru aux Editions A.C.V. à Lyon (Rhône) - France.

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