mercredi 7 mars 2012

La notion de réincarnation


LA NOTION DE REINCARNATION

DE LA MORALE ET DES MORALES

Depuis l’origine des temps, des explications rationnelles à la vie, la mort, ont parsemé les civilisations. Constamment de nouvelles philosophies sont apparues, promettant des paradis, purgatoires et enfers, éternels ou transitoires, s’inscrivant dans des morales aussi diverses que variées et transformant l’existence terrestre en une géhenne absurde.

Répond-on à telle ou telle idéologie, religieuse, initiatique, païenne, athée, que les promesses post mortem abondent :

a) Pour l’islam, et après la mort, le Croyant ira dans le paradis d’Allah où l’attendront de belles houris, sensuelles à souhait. Quant à la femme qui meurt, on ne nous dit pas si elle y trouvera de beaux hommes. Les autres iront nulle part !

b) Le christianisme enseigne que le pêcheur ira dans un purgatoire, pour y purger ses fautes et péchés véniels, s’il n’avait point reçu l’absolution et l’extrême onction, au préalable. S’il avait commis des péchés mortels, alors et toujours en l’absence d’absolution préalable, son âme se perdra dans les affres d’un enfer éternel. Quant à l’incroyant !

c) Les traditions animistes parlent de séjours idylliques pour ceux qui avaient honoré les Ancêtres.

d) Les athées pensent que la personne humaine disparaît à jamais dans un Néant surréaliste.

e) L’hindouisme prône l’existence d’une âme individuelle qui se réincarne, de vies en vies successives et à travers un infini de formes exponentielles depuis l'Océan des Origines et en son sein. Le lamaïsme tibétain spécule de la même manière.

Toutefois, les hypothèses sont à l’infini de la pensée humaine.

Un postulat répond au besoin, pour tout chercheur véritable, de trouver des explications à un groupe de phénomènes ; or, une interprétation n’est jamais définitive. Nous en avons la preuve avec l’atome insécable, puis sécable ; en serait-il autrement que l’existence évolutive serait impossible. A chaque avancée de la science, les postulats reculent, s’affinent, se transmuent. Ainsi que je l’avais écrit dans mes livres, nous cheminons, non pas d’erreurs en vérités, mais de vérités en vérités. Une théorie ne peut pas refléter exactement la Réalité ; elle se contente d’expliquer des phénomènes, de les relier par des lois, d’en découvrir de nouveaux. Donc, la vie se résume en un jeu de suppositions ; le Jeu de la Conscience. La clef des interrogations, d’ordre ontologique, se résume en un vocable : la CONSCIENCE. C’est elle qui formule les questionnements existentiels ; les réponses se trouvent donc là où les interrogations se posent : au Centre du SOI ! Le cerveau n’est qu’un miroir ontologique.

Les promesses d’atteindre à des univers de félicité dans l’au-delà, si l’on s’est consumé dans des pratiques bonnes, sont illusoires ; tout comme celles d’enfers, plus horribles les uns des autres et selon les innombrables morales de par le monde. Prenons quelques exemples faciles de vérification :

a) Pour un Islamiste fanatique, le fait de massacrer, de tuer, des incroyants lui permet l’accès au paradis d’Allah.

b) Pour un Chrétien, autrefois, l’éradication des Hérétiques, Gnostiques et autres contradicteurs permettait l'entrée à l’éden du Christ.

A la lumière de ces constats, les idées sur le bien et le mal sont aussi diverses que transitoires selon les idéologies, les individus. Ce fut au nom de morales que des Hommes massacrèrent d’autres qui avaient le tort de ne pas prendre des hypothèses pour des vérités révélées ; qui n’existent pas d’ailleurs.

D’aucuns prétendent légitimer leurs dogmes à travers des théories marcottant sur le terreau d’une lointaine antiquité. Homère présentait le royaume d’Hadès comme un lieu où les âmes vivaient dans le souvenir perpétuel de leur vie terrestre ; c’était leur unique châtiment. Ni les meilleurs d’entre les humains, ni les pires criminels ne sont traités différemment dans le champ de Perséphone. Pas de jugement ; cette notion apparaîtra plus tard avec les philosophes et l’orphisme. L’histoire de Gilgamesh présente une vision analogue. Le besoin d’une récompense ou d’un châtiment ne s’est pas fait sentir avant que des Hommes aient trouvé injuste que tous les individus soient traités de même manière. « Comment être moral, sans désespoir, dans une vie finie et dépendante », interrogeait le grand Philosophe Kant ; pour quelle morale ? Et là apparaît le grand dilemme. La vie ! Est-elle morale ?

Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine et éthologue, avait écrit un ouvrage : « L’agression ; une histoire naturelle du mal ». Toute l’histoire du monde repose sur la prédation, subie et portée par et sur l’environnement ; les conceptions, fluctuantes du bien et du mal, varient en fonction du degré de prédation consciente et inconsciente. Dans la vie sauvage, un prédateur tue une proie pour se nourrir ; aucun sentiment de culpabilité n’est ressenti et rien, dans la nature, n’intervient pour sauver l’innocente créature. La pulsion alimentaire a pour dessein de prolonger l’existence jusqu’à ce que l’on soit mangé, soi-même, par un prédateur ou des charognards, des vers. Seuls les Humains éprouvent le besoin d’édicter des règles de morale et d’éthique, afin d’éradiquer une déviation gravissime de l’instinct originel : l’agression intra spécifique à l’intérieur de notre propre espèce. L’Homme est le seul animal social à tuer son semblable ; au sein des autres espèces, ce fléau n’existe point ! Comme l’être humain est une particularité pathologique dans l’échelle évolutive, il lui fallut inventer des garde-fous contre sa propre violence intrinsèque. Redoutable constat !

Les sociétés humaines créèrent des morales, des règles conjoncturelles, pour suppléer une carence ontologique, une monstruosité comportementale, une pulsion démoniaque à la destruction d’autrui. Ainsi se développèrent, d’abord, des philosophies dites humanistes, puis des codes de comportements, des religions et doctrines à vocation d’ « amour du prochain » afin de juguler la violence prédatrice. La notion de délinquance, de péché, fut l’aboutissement d’une maturation historique de la conscience ; mais elle ne réussit pas à en éradiquer son substrat mortifère : l’Homme restait, reste toujours, le pire des prédateurs sur la terre ; la guerre, la violence multiforme, demeurent son « jeu » pervers, privilégié ! La vie sociale n’est qu’un état précaire, dont la stabilité dépend du degré de répression policière. Quant aux religions ! Vaste problème. Le Jeu de l’Inconscience !

Les règles morales ne sont pas immuables ; la conception d’une morale dépend de son époque car elle est circonstancielle. Celle de nos ancêtres, remontant à quelques siècles, ne sera pas la même pour nos descendants ; la morale occidentale n’est pas identique à celle de la Chine ou de l’Afghanistan. Les constructions mentales, humaines, ne s’appliquent qu’à l’humanité en un moment historique et géographique déterminé. A aucun moment la nature se soumet à celles-ci. Celle-ci est donc amorale ; la mort aussi.

En inventant l’idée de morale, l’homme a aussi conçu la notion de culpabilité. Est-ce une solution à l’enfer qu’il a, lui-même, construit ? L’une des premières traces que l’on trouve de ce concept nous vient du zoroastrisme. Le Dâtastân-i Mênouk-i Khrat est très clair à ce sujet. Voici ce qu’il nous dit de l’enfer et du paradis :

« ... Une fille vient alors à sa rencontre, qui ne ressemble pas aux jeunes filles. L'âme du méchant dit à cette mauvaise fille : "Qui es-tu ? Je n'ai jamais vu dans le monde de mauvaise fille pire et plus laide que toi !" La mauvaise fille répond : "Je ne suis pas une jeune fille mais tes mauvaises actions, ô vilain plein de pensées mauvaises, de paroles mauvaises, d'actions mauvaises, car lorsque tu voyais dans le monde qu'on adorait les anges, toi tu adorais les démons. Lorsque tu voyais qu'on accordait l'hospitalité et que l'on recevait les hommes bons, qu'on leur donnait des présents, qu'ils vinssent de près ou de loin, tu opprimais impitoyablement ces hommes bons, ne leur offrais aucun présent et fermais ta porte à leur nez. Et lorsque tu voyais qu'on rendait justice honnêtement, qu'on ne pratiquait pas de corruption, tu t'asseyais pour exercer la justice de façon malhonnête, pour donner de faux témoignages. Je suis tes mauvaises pensées, tes mauvaises paroles, tes mauvaises actions, désirées ou accomplies... »

L'apparition est évidemment inversée en ce qui concerne le bon qui voit apparaître une splendide jeune fille qui lui dira : "Je suis, ô jeune homme aux bonnes pensées, aux bonnes paroles, aux bonnes actions, ta propre religion."

Le séjour, dans le territoire des morts, est-il éternel ou n’est-ce qu’un passage ? Vers où allons-nous ? Question qui pourrait aussi s’articuler, ainsi : « Vers (asticots), (virgule) où allons-nous ? »

TU ES NÉ(E) POUSSIÈRE ; TU REDEVIENDRAS POUSSIÈRE

La plupart des Humains ne pensent pas à la mort, ultime porte de sortie de notre planète en folie très ordinaire, après une existence passée dans le combat, la souffrance et la maladie. Cet inéluctable avenir est évacué, comme par une sorte d’exorcisme d’une fatale réalité. Pourtant, il est important de connaître les conséquences de notre décès, dont la disparition de nos outils sensoriels.

De multiples insectes sont chargés d’éliminer toute trace de notre dépouille mortelle, afin de faire œuvre de salubrité écologique. Les étapes successives de leur intervention, dans le retour du cadavre à la poussière d’où il est venu, permettent aux criminologues de déterminer avec sûreté la date d’un décès.

Un quart d’heure avant une mort naturelle et non brutale, à la suite d’une maladie, ou bien par arrêt des fonctions vitales, des petites mouches, les « Curtonèvres », déposent leurs œufs aux commissures des yeux, des lèvres, dans les oreilles et autres orifices naturels et muqueuses. Le mourant peut encore entendre leur bourdonnement. A des distances considérables, ces insectes sont sensibles à des phéromones spécifiques émanés de l’agonisant. Lourds d’œufs, ils savent que leurs larves pourront faire ripaille et bombance. En cas de décès accidentel, ils arrivent aussitôt.

Lorsque la vie s’est arrêtée, d’autres escadrons composés de mouches bleues et vertes (Lucilia Cœsar) accompagnées de la grande mouche au thorax rayé de blanc et noir et qui se nomme plus communément « Grand Sarcophagien », viennent déverser leurs œufs. La première génération de ces insectes aboutit rapidement à sept autres qui remplissent la dépouille mortelle pendant trois à six mois, selon les conditions environnementales. Chaque jour, les larves de la mouche bleue augmentent leur masse de deux cents fois. La couleur de la peau, du cadavre, est jaune rose, le ventre est vert jade, le dos vert foncé.

Les insectes nécrophages, de cet ordre, sont capables de creuser la terre sur près de deux mètres de profondeur afin de rejoindre un cadavre.

La décomposition du corps entame une phase de fermentation butyrique, produisant des acides gras, le « gras de cadavre ». C’est le temps d’insectes nécrophages (les Dermestes) qui engendrent des larves longuement poilues ; de papillons (les Aglossas) dont les chenilles s’allient aux précédentes larves pour se nourrir de ces matières grasses qui se moulent, comme du suif, au fond des bières. Le résidu de ces graisses cristallise sous la forme de paillettes luisantes.

Une quatrième escadrille, composée de mouches de fromage (les Pyophilas) et de coléoptères (les Corynètes), intervient dans la fermentation caséique.

L’effervescence ammoniacale, manifestée par la liquéfaction noirâtre des chairs, sollicite une cinquième incursion par des mouches (les Lonchéas, Phyras et Phoras), par des coléoptères (les Sylphides) et neuf espèces de nécrophages. Si l’on exhume un cadavre, lors de cette phase spécifique, les débris noirâtres des chrysalides sont semblables à de la chapelure sur les jambonneaux ; des nuages d’insectes s’échappent du lieu d’inhumation.

A ce stade, la putréfaction a achevé son travail. Une nouvelle phase intervient et c’est la sixième : la dessiccation et la momification du corps résiduel, sous les linceuls empesés par les liquides visqueux des périodes précédentes. Les résidus de matière molle, organique, farineuse et friable, de source ammoniacale, sont consommés par de minuscules acariens, ronds et crochus, pratiquement invisibles à l’œil nu. De quinzaine en quinzaine de jours, leur nombre décuple : s’il y en a vingt au début, au bout de deux mois et demi leur nombre est de deux millions.

Une septième invasion par des papillons (les Aglossas), intervient après les acariens ; ils étaient déjà intervenus lors de la troisième phase de décomposition du cadavre et avaient disparu. Ils dévorent les tissus, ligaments, tendons, quasi fossilisés, ainsi que les poils, cheveux et étoffes. La peau est de couleur bronze doré ; le corps répand une odeur de cire.

Cette étape se prolonge sur trois ans environ.

A l’issue de cette période, une escouade de petits coléoptères noirs (les Tenebrio Obscurus) effacent tout ! Même les débris d’insectes sont dévorés. Après eux, il ne reste plus rien que des os blanchis et une masse dense au fond du crâne, composée de carapaces, de pulpes, de chrysalides et des excréments abandonnés par la dernière génération des insectes, prédateurs nécrophages.

« Sic transit gloria mundi » et tout n’est que vanité, rien que vanité. Trois années se sont écoulées et une créature, animale ou humaine, a complètement disparu de la surface de la terre. Ses composants organiques sont retournés à l’inorganique, au règne minéral.

L’âme qui habitait un corps matériel, est-elle partie vers un ailleurs ? Ou bien a-t-elle disparu avec la mort de son support ? Interrogations redoutables.

RÉSURRECTION OU RÉINCARNATION

Quand on parle réincarnation, le judéo-christianisme objecte, à travers les religions y afférentes :

« Il n’y a qu’une seule religion valable, celle du Christ car il est seul dans la plénitude, étant fils de Dieu. Les Bouddhistes, Hindous, sont sur une fausse voie ; la réincarnation ne peut pas exister ».

Dans le domaine de la croyance, dont ressortent les assertions précédentes, la subjectivité règne totalement. Il n’y a rien de scientifique dans l’énoncé de ce genre de condamnation et, à contrario, un Lama tibétain, un Yogi hindou, un moine Zen pourraient retourner exactement l'allégation en matière de résurrection des morts, dogme dans l’ensemble des églises chrétiennes. Et ceci malgré le fait historique que, au temps de la primitive église, la réincarnation fut un dogme reconnu, édicté et professé. Les chrétiens primitifs, dont le CHRIST lui-même, croyaient en la théorie de l’avatar. Elle devint un dogme pour l’église naissante et le resta jusqu’en l’an 553, date à laquelle se réunit le second synode de Constantinople sous la pression de l’Empereur romain JUSTINIEN auprès du Pape. Cette croyance fut interdite pour des raisons insolites ; l’Empereur, voulant des esclaves, se heurta à la résistance des Chrétiens qui invoquaient leur foi en la réincarnation et préféraient la mort. Aussi sollicita-t-il le Pape pour qu’il leur supprimât ce dogme en punition pour leur refus. Ainsi fut ôtée cette croyance libératrice qui devint interdite. Cependant, et afin de compenser cette éradication, l’église inventa le dogme de la résurrection de la chair. Pitoyable troc. Parallèlement, il suffit de se reporter au Concile de Nicée en 375 pour trouver les preuves que le Nouveau Testament fut modifié de manière éhontée, tant dans sa conception que par rapport à l’enseignement de Jésus CHRIST.

La différence entre les concepts de « réincarnation » et de « résurrection des morts » est de taille. Alors que l’hindouisme, le lamaïsme tibétain, prônent la transmigration des âmes à travers tous les règnes de la Nature, jusqu’à l’homme et au-delà dans d’autres mondes plus évolués, en une évolution s’inscrivant dans l’exponentialité, les religions dites révélées allèguent le contraire. Selon elles, l’homme aurait été créé par un Dieu - venu de nulle part et inventé par les hommes - et ne posséderait qu’une vie. Après la mort, il devrait espérer en la résurrection selon l’état qui était le sien auparavant ; en une cristallisation éternelle. Le dogme de la résurrection de la chair a un avantage ; il incite fortement les croyants à l’inertie et réalise une sorte de ciment social, sécurisant, quasi tribal. Une sorte d’enveloppe idéologique endort l’énergie vitale en figeant toute volonté d’évolution. Le contenu de l’existence est oblitéré ; le mouvement disparaît au profit de la stagnation. Par analogie il s’agit, comme pour la sexualité sans « amour », d’une fossilisation de l’esprit.

Paradoxalement, les religions monothéistes hyper valorisent le plan sensoriel de l’expérience ; à tel point qu’elles considèrent, pour la plupart, la résurrection comme la seule solution à l’équation de la Vie universelle. Théorie matérialiste qui contredit la vocation spiritualiste de la théologie chrétienne. Il suffit de s’interroger sur le fait qu’un handicapé physique ou mental devrait, selon le dogme, ressusciter tel qu’il fut sur la terre, pour constater l’inanité du thème. Autrefois, il y eut l’affirmation dogmatique de l’infaillibilité papale ; combattue, il est vrai, par les proches des Papes, eux-mêmes ! La seule justification de la dogmatique se trouve dans son élaboration même ! Comme en politique, il s’agit d’un système doctrinal ayant pour but d’enfermer les peuples et croyants dans un moule uniformisant et somnifère de la pensée. « Surtout, qu’ils ne parviennent pas à comprendre », conseillait autrefois Enguerrand de MARIGNY à Philippe le BEL ; « sinon ils n’obéiraient plus ! » Les mystères sont l’arme absolue de certaines religions pour gouverner les esprits en les maintenant dans l’inquiétude, l’ignorance ; en les contraignant à la délégation de leur faculté de penser vers de simples humains qui, de manière pharisaïque, cherchent à faire accroire qu’ils parlent au nom de Dieu. On ne dit jamais : « leur Dieu » car le doute germerait dans les âmes. Ultime hypocrisie. Entre les deux propositions doctrinales, la notion de réincarnation est une réponse la plus raisonnable au mystère de la vie universelle. Bien que plus « intelligente », l’idée de renaissance n’use pas de cette qualité pour s’ériger en dogme, en sujet de foi, au sein des doctrines d’Éveil, hindoues et lamaïstes ; la tolérance, ainsi manifestée, inflige une leçon redoutable à tous les dogmatismes mortifères de la conscience.

Face à la science de la spiritualité, telle qu’il convient de la comprendre à travers les enseignements tibétains et hindous, les différentes religions opposent des argumentaires construits de toutes pièces par les théologiens ; afin d’expliquer une contradiction, la niant et revenant sans cesse au dogme. Les clercs sont initiés à la langue de bois (langue des dogmes) comme les cadres des partis communistes furent formés dans les écoles soviétiques à objecter aux questions les plus embarrassantes. Les Commerciaux reçoivent une formation analogue afin de convaincre les clients potentiels, à l’aide d’argumentaires très spécifiques. Devant la multitude d’interprétations des textes religieux, dits révélés, les théologiens retinrent celles qui les arrangeaient, rejetant les autres comme hérétiques ou sectaires, selon les nécessités du moment. Puis, avec l’évolution des civilisations et de la science, le partage des cultures, les voltes faces idéologiques s’accumulèrent pour sauver le navire de la foi, le commerce des idées et sauvegarder le pouvoir de domination. Le dogme de la pensée unique fut de toutes les époques. Accréditant, ainsi, la théorie réincarnationniste à l’égard de l’inquisition morale et idéologique que l’on retrouve tout le long de l’histoire, en une sorte de génération spontanée et permanente.


Qui ou quoi se réincarne-t-il ? Les Maîtres de Sagesse ne répondent presque jamais à l’interrogation des Occidentaux. Ils se contentent d’être évasifs : « Qui pose la question ? Quand vous le saurez vous aurez satisfaction à votre quête qui est sans objet » ! Il n’est pas dit : « sans sujet » ! Une interrogation, sans objet, comporte un sujet par suite logique et il revient au penseur de le découvrir en lui-même. L’Être est sujet ; l’existence est objet. Cette donnée philosophique est essentielle dans la doctrine hindoue. En effet, le sujet de l’angoisse métaphysique dont souffre l’Ego est le Soi qui se découvre lorsque le dépouillement des illusions du mental, s’avère. Dès lors la certitude s’installe que ce n’est pas notre personnalité, éphémère, qui se réincarnera, à l’infini. Parce qu’elle mourra avec notre cerveau, à l’instant de notre décès. Notre personnalité, présente, n’est que le moment historique d’une évolution exponentielle, éternelle. Mais pour quelle entité ? Y a t-il un Soi et (ou) un non Soi ? Les Lamas tibétains confondent le Soi avec l’Ego – personnalité éphémère qui disparaît avec la décomposition du cerveau. En ce sens, leur allégation est fondée. Mais qu’en est-il sur un autre plan ?



Il est plausible que ce SOI soit (redondance voulue) un « flux de conscience », un « sujet » qui migre de « forges » matérielles en « creusets » corporels, tous énergétiques. Revêtant l’infini des formes, ce flux évoluerait à l’infini du « karma » individuel. Pour un Yogi, le SOI serait sujet et l’Ego objet puisqu’il est Karma. Combien d’occidentaux ont failli dans ce genre d’analyse en proclamant que le lamaïsme enseigne le NON-SOI. Des mots ; des Maux ! (Majuscules voulues). Nous pourrons renaître, dans un autre sexe que le nôtre, avec une autre couleur de peau, une personnalité totalement différente ; ou bien, et si nous sommes Réalisés, revêtir un corps glorieux, purement énergétique, ailleurs dans les Univers. Si nous avons telle couleur de cheveux, de peau, des yeux, si nous sommes petits ou grands, bêtes ou intelligents, et cœtera, c’est à cause de la programmation que nous nous sommes imposés, à nous-même, avant de nous réincarner. En fonction de ce que les hindous nomment : le Karma qui s’appelle Ego en Occident ; il s’agit de la personnalité de chacun qui évolue, évidemment, et se transforme sans cesse, au fil des expérimentations, actes, pensées, et sentiments.

Le Karma est la somme des expériences ontologiques que nous vivons depuis l’éternité et que le mot « âme » - « atman » dans l’hindouisme - a rendu dans le sens de « démiurge humain ». Si l’on a compris l’argumentation que Dieu ne peut pas exister car il Est, et que l’Univers existe en fonction de l’État d’être originel, la notion de démiurge s’explicite quelque peu. A la limite, toute existence est d’ordre démiurgique. Tout État d’être est d’essence « divine ». L’ « âme » des choses constitue un démiurge spécifique, à chaque étape de l’existence d’un Soi. Le vocable « divine » est presque inadéquat, en l’occurrence, car la connotation religieuse l’a relégué sous la rubrique des lieux communs ; il est vidé de toute substance cognitive.

Le Soi est la Vacuité. La Vacuité est l’Être. D’eux émanent tous les aspects, exponentiels, ontologiques du SOI. Les étapes d’Éveil de la Conscience, et que l’hindouisme traduit par « samadhis », aboutissent à l’ultime expérience, inhérente aux limites de notre cerveau actuel, de la Consciencialisation de la Vacuité – ou auto consciencialisation de la Vacuité. Avant d’atteindre cet état de Conscience, le « sadhak » - praticien d’une sadhana d’éveil - arrive au seuil du Vide et le vertige le prend. Je suis donc sorti du Vide, constate-t-il ! Et il pense qu’il n’y a rien derrière. Alors, il recule, effrayé. Puis, il recommence jusqu’au jour où, face à la Vacuité, il vainc sa peur et la regarde en face ; le temps passe. Jusqu’au moment historique de son évolution intérieure où il franchit la Vacuité pour basculer derrière Elle. Transcendantal samadhi. Est-elle pleine de vide ou vide de plein ? Mais le Vide n’est pas vide et le plein n’est jamais plein ! Ah ! A enquerre. Car, de plain pied, rien n’est plein si l’on en croit la « Minute nécessaire du cyclopède » par feu Pierre DESPROGES. Concept philosophique !

A ce seuil, la Réalisation de la Conscience du Soi a sa propre réalité : l’Auto Consciencialisation de la Vacuité. Elle devient Vérité au retour de la Conscience du sadhak à l’existentiel. Là encore, et afin que les mots ne deviennent pas des maux, il est à admettre comme un lemme que la Réalité relève de la transcendance ontologique et la Vérité de l’immanence sensorielle, donc démiurgique. D’où l’explication de la réponse par un Sage hindou, à un Occidental qui l’interrogeait : « Est-ce que je me réincarnerai ? » ; « Ta question est sans objet ! » En l’occurrence, il ne s’agissait point d’infliger une gifle à l’orgueil occidental d’un individu à l’Ego enflammé par la suffisance et sa propre surestimation ; le Sage hindou n’injuriait point son interlocuteur, bien que certaines personnes eussent pu s’en offusquer, avec superbe. Au second degré de l’Intelligence des choses, le sublime Sage hindou signifiait, philosophiquement, que si le questionnement était sans objet, il n’était pas sans sujet ! Ah ! Gravissime concept ! Merveilleuse dialectique hindoue. Le sujet renvoie à l’Être ; l’objet au monde sensoriel, à Maya, l’illusion du Moi des passions, à l’Avoir. Un objet ne se réincarne point, un Sujet, si ! A enquerre. Qualité de chaque personne.

L’âme constitue un Démiurge et dire qu’elle est immortelle, en un acte de foi créateur de l’événement, s’avère mais de façon relative. Une âme est une « mémoire » existentielle qui ne disparaît pas après la mort ; sauf si Elle l’a décidé ! L’Atman croît au fil des « réincarnations » et à l’Infini de l'Expérience, si Elle l’a décidé. Il y a un très grand Secret derrière ces concepts. Le terme Démiurge est très lourd de sens, au plan philosophique. Une âme peut décider de disparaître, définitivement, de l’Existence infinie si elle a peur de son karma. Ainsi, un HITLER pourra choisir la mort cosmique plutôt que de payer ses dettes karmiques. L’âme d’HITLER n’aurait donc plus, en ce cas-là, de possibilité à la réincarnation car son Sujet serait mort.

Comment comprendre tout cela ? Imaginons que vous êtes un très grand criminel ; c’est à dire que vous avez ajouté de l’ignorance à l’Ignorance, de la souffrance à la Souffrance, en toute Conscience ; à la mort vous serez face à votre Karma et votre inventaire existentiel. Vous allez voir, sur une sorte d’écran, vos vies futures. HITLER, par exemple, ou un STALINE pour ne retenir que ceux-ci, devra mourir asphyxié, carbonisé, mutilé, torturé, et cœtera, autant de fois qu’il fut l’agent de morts identiques. A chaque souffrance infligée à autrui, chaque ignorance maintenue ou surajoutée, il devra répondre par des expériences sensorielles, identiques. S’il a tué 50 millions d’êtres humains, ou bien 80 millions pour le second, il devra se réincarner 50 millions ou 80 millions de vies durant lesquelles il subira, en son propre corps, les mêmes affres de la souffrance, de l’agonie et de la mort ; terribles et horribles ! Est-il simplement orgueilleux ? Il souffrira de l’orgueil des autres ! L’existence est un miroir ! Alors, les histoires de rédemption, d’absolution plénière ou pas, sont des contes à dormir debout.

Les tortures, les mutilations dues aux guerres et aux crimes, ont été pratiques courantes ; elles le sont toujours et l’humanité n’avance toujours point. L’homme est encore contemporain du dinosaure. Après sa précédente incarnation il vit, comme tout le monde le voit, son karma – son inventaire existentiel – comme sur un écran ; il lui fut proposé, par son âme elle-même, plusieurs solutions. Soit il payait rapidement le mal qu’il avait fait ; soit il choisissait plusieurs vies à cet effet, soit il préférait quitter définitivement les chaînes des réincarnations successives, par une Mort cosmique et définitive.

A la lumière de ces divers éléments, il s’avère que notre personnalité sensorielle et existentielle est éphémère, contingente car liée à la nécessité éternelle du changement pour et par l’Éveil. Chaque mot a son poids. De la même manière qu’un clou chasse l’autre, un Éveil chasse un Éveil précédent dans le sens d’une croissance ontologique. L’Être transcendant s’oblige à l’Existence immanente pour Vivre. Il n’y a pas de Réalisation finale ! Tout « phénomène » de cet ordre est d’ordre démiurgique. Il existe des Réalisations de la Conscience, à l’infini, et les théoriciens es dogmatique ont trahi la Réalité en la rabaissant à leurs limites et limitations d’ordre sensoriel. Les Religions ont donc trompé le monde entier.

En conséquence, qui se réincarne ? Ou bien, quoi se réincarne ? Les réponses, à ces questions et tant d’autres encore, sont amorcées ci-dessus. A chacun de trouver « Sa » Réponse ! A condition de bien Se comprendre ! L’essentiel est de concevoir que nos idéaux, nos convictions et certitudes ne sont que des étapes de la Conscience, vouées à la disparition au profit d’autres tout aussi éphémères. Mourir à chaque instant, pour renaître, est la clef de la Sagesse éternelle comme la Vacuité elle-même.

Ces enseignements sont à l’Éveil de Kundalini qui constitue le tronc commun aux Traditions d’Éveil, lamaïques et asiatiques, au dernier niveau supérieur des Enseignements inhérents à chacune. Ainsi, que ce soit le Shivaïsme du Cachemire, le Lamaïsme tibétain, et cœtera, tous ces courants réellement initiatiques se rejoignent au sommet qui se résume en une ultime phrase essentielle :

« La Réalisation du Soi est l’Auto consciencialisation de la Vacuité, accessible grâce à l’énergie kundalinienne qui soutient l’Esprit, dans cette Expérience, afin d’éviter la déstructuration mentale, la folie et la mort ».

En réalité, l’existentiel est une sorte de creuset pour un Éveil de Conscience, exponentiel et éternellement infini. Nous créons nos propres champs événementiels pour une Réalisation de la Conscience, nous mêmes. Nous inventons les conditions de notre propre vie et, en devenir Conscients, est une étape de Réalisation intérieure.

Nul n’est prêt qu’à son heure.



"Initiations à la lumière d'Orient"  par Edmond FIESCHI, publié aux Éditions A.C.V. à Lyon (Rhône) - France.

"Gnose et Gnosticisme" (Étude sur la Gnose interdite) par Edmond FIESCHI publié aux Éditions A.C.V. à Lyon (Rhône) - France. (Toute autre publication émanant d'un autre éditeur serait une escroquerie et un vol, justiciables d'une plainte en Justice correctionnelle ; nous remercions, par anticipation, toute personne témoin d'un tel méfait et qui nous le rapporterait).

jeudi 1 mars 2012

Ultime échappée




ULTIME ECHAPPEE

Oiseau, tu nous as quittés, comme ça.
Un matin, tel le cygne qui prend son envol.
Vers la lumière.
Là-bas.
Dans un pays sans nom.
Que tout le monde connaît !
Que tout le monde tait !
C’était la fin de ta Voie.

Un jour tu naquis, les yeux vers le soleil de la vie.
Tu vibrais telle la goutte d’eau dans l’océan de l’existence.
A la quête de la Sagesse dont tu mendiais, jusqu’au vertige,
Les parfums enivrants pour remplir la coupe de ton espérance.
A la source de la terre des mille forteresses.
C’était l’aurore de ta Voie.

Appelé par un indicible essor.
Tu passas les forts et les frontières !
Et tu cherchais, aux rivages lointains, la lumière cachée...
Rien ne t’arrêta, dans ta quête de la Vérité, au-delà de l’humain !
Par delà les combats, tel le Preux Chevalier !
Tu sus être l’Autre que Noble Dame cherchait.
C’était ta Voie.


Tu marchais devant toi, malgré les vents contraires.
Et ton gouvernail mettait le cap, là bas.
Où est l’ivresse, O terre des forteresses ?
Il te faut des cœurs purs, lavés au sel des larmes.
Abreuvés de Sagesse à ta voix éternelle.
Tu veux nous entraîner au maniement des armes,
Et le trophée attend le vainqueur en ton ciel.
C’est la Voie.


La souffrance a moulu ta vie... Ta coupe est en éclats.
Mais ton esprit fait germer, dans les cœurs en détresse,
Une vie plus ardente... et ta présence est là.
Tu nous as devancés au Pays sans nom.
Que tout le monde connaît.
Que tout le monde tait.
C’est notre Voie.


Ce n’est qu’un au revoir, Oiseau.

L'aigle et la cage



L'AIGLE ET LA CAGE

"Celui qui s'efforce d'atteindre son bonheur personnel, en maltraitant ou en faisant périr des êtres qui, eux aussi, tendaient vers le bonheur, ne trouvera pas ce dernier".

DHAMMAPADAH

Sur le pic, le plus élevé de la montagne, se trouvait la plus gentille famille d'aiglons que les temps avaient connue. Dans le nid, un couple d'aigles royaux avait mis au monde trois petits qui croissaient en force et vigueur. Rien n'aurait troublé une vie aussi tranquille si, par malheur, un homme avide de sensations fortes n'avait eu la malencontreuse idée d'aller voir de plus prés, par bravade, à quoi pouvaient penser de tendres aiglons.

Alerté par la vision de ce minuscule insecte rampant, collé à la muraille et qui s'approchait de leur charnier natal, le couple d'aigles royaux avait quitté le nid pour surveiller l'intrus. Au fur et à mesure que l'alpiniste s'approchait du gîte, les parents s'alarmaient. Ils montaient alors haut, très haut dans la lumière, pour fondre sur l'étranger. Ce dernier protégeait son avance par une espèce de parapluie métallique, dont les reflets, allumés par le soleil, repoussaient les assauts ailés.

L'homme émergea enfin prés d'un amas de branches et brindilles, jonché de plumes. C'était là que se blottissaient trois oiseaux splendides qui, petits par la taille, défendirent leur territoire avec la bravoure des grands. L'intrus n'eut qu'à jeter une espèce de filet sur l'un d'eux pour le neutraliser. Il entreprit alors de descendre vers les Humains, muni de sa triste conquête.

Longtemps, les parents affolés tentèrent tout ce qui fut possible pour jeter dans les abysses le sinistre criminel. Las... Tard dans la nuit, il y eut un long conciliabule qui meurtrit de douleur toute la famille des aigles alentour.

Rentré à son domicile, l'homme plaça un lien à la patte de l'oiseau qu'il enferma dans une cage métallique, à l'intérieur d'un hangar qu'une faible lumière éclairait. Sa fille, adolescente, vint découvrir la merveilleuse créature, repliée derrière ses barreaux, l'œil fixe et la force tranquille.

L'aiglon fit d'abord la grève de la faim et de la soif. Mais son corps s'affaiblissait. Alors, en cachette, il buvait puis mangeait. L'homme sut qu'il avait gagné. Rendre dépendant pour mieux enchaîner, il connaissait...

L'aiglon devint aigle, un jour. Mais personne ne s'en aperçut, sauf la jeune fille qui, elle aussi, était devenue femme. Elle avait deviné la transformation biologique, avec son intuition féminine, après avoir inauguré une communication subtile avec l'animal meurtri. En cachette, elle condamnait l'incarcération de l'oiseau mais n'osait pas affronter le père dont les colères étaient terribles. Sa mère s'était tue, depuis longtemps déjà... L'esclave ne peut que se taire.

L'aigle avait accepté de manger dans la main de la jeune femme, mais jamais dans celle de l'homme. En un souverain mépris, il lui opposait un regard sombre où brillait le souvenir de la poussière du soleil qui inondait les cimes lointaines de son enfance, de pourpre et d'or.

Le temps passait. Un jour, l'homme fit un héritage et, par vanité grossière, il fit construire une cage somptueuse. Les barreaux étaient en métal doré. Il aimait montrer l'animal à ses convives, à l'issue d'agapes bien arrosées. Ce fut à l'occasion de l'une d'elles qu'un fiancé fut envisagé pour la jeune fille.

Le prétendant était un jeune homme fortuné, diplômé des hautes écoles, bien de sa personne et qui promettait. La jeune femme accueillit la cour qu'il lui fit tambour battant, avec amusement. Un jour, elle l'emmena vers l'aigle pour observer le comportement de son fiancé.

- "C'est un oiseau splendide!" Constata-t-il.

- "Oui, n'est-ce pas".

Puis il essaya de l'embrasser, mais elle se déroba.

- "Je ne vous comprends pas. Qu'arrive-t-il ? Vous ne m'aimez pas...! Alors quoi..." Interrogea l'homme.

- "L'aigle, regardez-le."

- "Mais je l'ai vu. C'est un aigle, c'est tout. Il serait bien dans une volière plus grande. Mais c'est nous deux qui comptons... Quand nous marions-nous ?"

-"....."

- "Ecoutez. J'ai une maison, du terrain et j'hériterai l'usine de mon père. Nous aurons des enfants. Nous irons en vacances, partout où nous voudrons. On sera heureux, très heureux... Embrassez-moi."

Le fiancé s'approcha de la jeune femme qui se déroba de nouveau. Elle s'était approchée de la cage d'où l'aigle la regardait, avec une lueur qu'elle seule comprenait. Elle approcha sa main et tendit ses doigts à l'intérieur des barreaux.

L'homme tira sur son bras, alarmé.

- "Mais faites attention, cet animal peut être dangereux. Il risque de vous couper un doigt en deux. Embrassez-moi...!"

La jeune femme s'écarta et le regarda bien en face, avec des yeux semblables à ceux de l'aigle des cimes. Une lumière de colère s'y alluma et, d'une voix coupante, elle trancha :

- "Vous ne savez que demander de vous embrasser. Vous ne parlez que de vous, de ce que vous allez faire quand nous serons mariés. Vous décidez de tout. Vous voulez me mettre en cage comme cet aigle que vous n'avez même pas regardé".

- "Calmez-vous..."

- "Vous me décevez. Vous êtes comme tous les autres. Vous cherchez à emprisonner ceux que vous aimez. Dans une cage dorée ou pas, ce n'est pas le métal qui fait la cage. Des barreaux en or sont comme des barreaux de fer. Votre argent vous permet de tout acheter, votre usine aussi. Vous n'avez qu'à paraître pour que tout le monde s'incline devant vous, votre argent, vos diplômes. Mais pour qui vous prenez-vous ? Je ne suis pas à acheter."

-"......"

- "Cet aigle est enchaîné mais il est libre intérieurement. Alors que vous, avec votre supériorité d'homme, vous êtes enchaîné par tous vos "avoir". Vous n'êtes pas. Vous n'êtes rien. Donc vous ne pouvez rien m'apporter qui me soit utile. Je ne serai pas votre servante sous le prétexte que vous êtes beau, intelligent, fortuné. Votre cage, je n'en veux pas. Je ne veux aucune cage..., jamais!"

- "Je vous aime car vous êtes comme je l'imaginais, farouche et indomptable. Vous êtes comme un joyau que je saurai sertir dans l'écrin qui lui convient. Jamais je ne vous abandonnerai, jamais...!"

- "Présomptueux que vous êtes, Monsieur. Un écrin n'est qu'une prison et votre amour pour moi n'est qu'une cage à votre mesure. Vous avez manqué votre dernière chance tout à l'heure. Si vous m'aviez répondu de manière pure, honnête et intransigeante à l'égard de l'essentiel que symbolise la liberté indispensable pour cet oiseau, comme pour tout être, j'aurais compris que vous saviez que l'Amour révèle l'autre à lui-même. Pour une vie de braise: celle de la Vérité.

-"Mais ....."

"Vous n'avez eu aucun sentiment de compassion pour l'aigle; vous l'avez à peine regardé. Il n'y a donc que vous au monde ? Les animaux, les gens et les choses sont-ils, pour vous Monsieur, des objets de consommation ?"

-"Attendez ....."

L'homme, le regard étincelant de colère et ivre d'orgueil meurtri, était pétrifié.

La jeune femme, hiératique, s'approcha de la cage où l'aigle gisait, blotti dans sa dignité et sa douleur. Elle ouvrit la porte, lentement, et avança sa main vers le splendide oiseau. Elle le caressa, doucement, avec une tendresse infinie. Il lui tendit son cou, à la recherche d'une tendresse compatissante. Elle fourragea ses plumes, d'une main émue.

Alors de ses doigts malhabiles elle réalisa le projet, qu'elle concevait depuis quelque temps déjà, en entreprenant de dénouer la chaîne qui liait l'aigle à un barreau de sa prison. Puis, l'oiseau enfin libéré, elle plaça sa main sous une de ses terribles serres qu'il couvrit sans haine, aucune. La seconde serre vint se placer sur la main tremblante.

La jeune femme sortit l'aigle de sa cage et le porta au dehors du hangar, dans le jardin inondé de poudre solaire. L'oiseau tourna la tête vers le soleil qu'il regarda, face à face, noble et droit. Il parla à l'astre de feu qui lui répondit...

L'aigle redressa le cou, ébouriffa ses plumes et dénoua ses ailes. Il tourna un regard profond comme la nuit, lourd comme la lave de feu, tendre comme une mère, fort et puissant comme le ciel, à l'assaut de la jeune femme, libre de la liberté toute nue, la seule vraie...!

Que se dirent-ils ? L'un parla, du langage muet des étoiles qui enseignent de toute éternité, et l'autre reçut. L'une fut initiée par l'autre libéré...!

Il y eut deux êtres libérés.

L'aigle déploya ses ailes immenses, voiles de l'espoir infini, et prit son envol. Grandiose est l'instant où l'Être se déploie, gravit les cimes de l'existence cosmique pour rejoindre son destin.

Il n'y eut plus qu'un point dans le ciel et l'aigle avait rencontré son futur. La jeune femme plongeait un regard perdu dans l'immensité des étoiles qui en comptaient une de plus, désormais. Puis elle revint à une réalité plus terrestre. L'homme était toujours là...!

Il était comme différent, soudainement. Habité par un doute nouveau, il paraissait bizarrement plus humain, car plus vulnérable et mûr. Mais elle ne l'aimait pas pour autant. Il ne suffit pas de souffrir pour Être... Aussi, décida-t-elle de l'enseigner, à son tour, puis de partir.

- "Monsieur, l'aigle m'a dit avant de me quitter que rien n'a plus de prix, dans la vie, que la Liberté d'ÊTRE. Tout le reste n'est que billevesée, turlutaine et vanité. Si vous Êtes, alors vous Aimez."

-"....."

- "Soyez...!"

La jeune femme partit, d'un pas léger et majestueux, vers un pays sans nom et sans chemin dont elle avait, seule, le secret.

Une nuit, alors que les étoiles inondaient la terre d'une vie renouvelée, l'homme découvrit une étoile filante. Il lui sembla voir un aigle qui ressemblait étrangement à une femme.

Dès cet instant, l'homme comprit que nul ne pouvait emprisonner une étoile.

Alors il fut...!