mardi 19 février 2013

Je te le dis...



JE TE LE DIS


Je te le dis...

L’Amour, la Connaissance disparaissent
Lorsque l’esprit et le cœur sont en cendres.
Il y a des temps qui s’appellent
Temps pour la naissance
Temps pour la vie
Temps pour la mort.

Que disent les lacs froids et immobiles
Dans la forêt lointaine.
Là où dorment les arbres que la bise futile
Voile du blanc manteau que la neige déchaîne.

Ainsi les pensées, que pourrit l’hiver,
Meurent à la terre de l’oubli pour mieux renaître.
La vie marcotte sur le terreau du passé.
Déjà la glèbe bout du ferment surréel
Que les augures annoncent à la manière de Noé.

Le printemps est comme la feuille délicate,
Qu’agite le souffle d’Hécate,
Prélude de l’effervescence vitale,
Lourde du poids de l’amour qui naît comme un cristal.

Si la peur de te perdre
Étreint ton âme
Alors, O mon Ami, l’été des passions
Va te prendre dans les ténèbres
De la nuit qui vient.

De l’ignorance, l’automne flétrit la vénéneuse parure,
Quand les pétales de l’intolérance cruelle,
Chutent sur le sol de la pourriture,
Aliment de la vérité éternelle.

Je te le dis, O Ami,
Tant que tu n’accouches pas de toi,
Ton indigence est ton lot.
Tu parcourras le monde comme un étranger
Qui court après l’ombre de sa vie.

lundi 18 février 2013

La mort du lapin



LA MORT DU LAPIN
(Toussaint 1981)

"Tant que les hommes massacreront les bêtes, ils s’entretueront."


PYTHAGORE


"Il y a, dans le regard des bêtes, une humilité profonde et doucement triste qui m’inspire une telle sympathie que mon âme s’ouvre comme un hospice à toutes les douleurs animales."


Francis JAMMES


« Mon frère arrive », grince la femme dans la cuisine;
« Il va tuer le lapin »!

Des pas retentissent, lourds et pesants,
Dans la cour.

Un grognement d’homme:

« Ah ! Le voilà » !

Chant 1

« Lapin, je te connaissais bien.
Tu m’avais apprivoisé.
J’étais donc responsable de toi.
Chaque jour tu t’approchais davantage de moi. »

Des cris minuscules, révoltés, jaillissent,
Dans le grand silence.
Le temps s’arrête.
La femme est partie vers son frère.

Chant 2

« Lapin, tu m’aimais chaque jour davantage.
Je lisais une petite lumière qui s’allumait, brillait
Dans ton regard. »

J’écoute l’inéluctable, tendu,
L’âme aux abois.

Chant 3

« Non, lapin, ne te laisse pas tuer.
Prends de ma force, prends-la !
Lapin, tu grandissais sans cesse.
Une présence t’emplissait au fond,
Au tréfonds de toi. »

Le bourreau n’arrive pas à faire son sinistre travail.

Le lapin devient démon.

« Ah! Il ne se laisse pas faire », grince la femme.
« Je ne comprends pas ; d’habitude il est si gentil » !
« Mais que se passe-t-il donc » ?

Chant 4

« Lapin, écoute-moi.
Je suis avec toi ; venge-toi !
Mais je te sens là.
Tu n’es plus seul, seul. »

Il est mort.
Un grand silence noir chute.
Souffrance inouïe.
Glas inaudible de l’instant qui meurt.
Dépouille clouée sur une poutre.
Misérable croix de chair écartelée, pantelante.
Communion dans l’horreur.
Ma pensée déchirée.

Chant 5

« Que le sang du bourreau serve l’holocauste! »

Force pensée.

« Aïe ! J’ai mal », lance l’homme qui s’est entaillé le doigt jusqu’à l’os.
Le sang de l’homme coule aussi,
Source rouge de la vie,
Se mêlant à celle du lapin.

Mélange eucharistique.
Osmose alchimique.
J’ai peur de ma pensée.
Alors j’ai soigné ce doigt ridicule,
Niais.

Et l’immense silence rédempteur,
Blanc,
Tombal,
Tomba.

vendredi 8 février 2013

Ni noire, ni blanche...


NI NOIRE, NI BLANCHE...!


"Une note de musique, blanche, vaut deux noires, le masculin l'emporte sur le féminin, le jour sur la nuit et la Vierge Marie sur la Vierge Sarah...! Pourquoi? Sans importance puisque, depuis le fonds des âges, l'homme a toujours raisonné en termes duels. Cependant, ce n'est pas une raison pour que cela dure éternellement... Ah!"

C'est ainsi que pensait la jeune fille brune comme la nuit naissante et aux yeux couleur de braise, debout face à la statue de la Vierge noire, en bois vieilli avec l'âge, petite dans sa crypte et croulant sous les tissus les plus divers. ISIS, la déesse noire toujours voilée, compagne d'OSIRIS le dieu solaire dont elle porte l'enfant HORUS, était cachée dans l'église des Saintes Maries de la Mer (France), toute auréolée par le jeu des lumières de chandelles allumées, mais comme exilée.

Derrière la jeune femme, se devinaient des dévots marmonnant et qui venaient enflammer des cierges à souhaits. Une chaleur torride irradiait son dos et provenait de la fournaise. Une odeur de cire brûlée, mêlée à de vagues relents d'encens et de myrrhe, donnait une tonalité sirupeuse à une ambiance lourde à couper au ciseau. Elle décida alors d'aller dans la grande nef.

L'air y était différent. Autant la crypte était sombre et étroite, que la nef affichait la clarté et l'espace. Les vitraux réfractaient le soleil en rais multicolores. Des cariatides immenses représentaient des saints; plus loin, il y avait la croix du Christ, sur l'autel luxueux et ployant sous le velours, le lin et la soie dorée. Enfin, elle découvrit la statue de la Vierge Marie, la blanche.

Elle la regardait, découvrant la couronne d'étoiles autour de sa tête, ses yeux bleus et ses cheveux d'or pur. Vêtue d'une résille blanche, Marie était ceinte d'une écharpe bleue. Magistrale sur son socle, elle tenait l'enfant roi dans ses bras.

La jeune fille pensait, pensait!

"Que signifie cette différence entre deux statues de la Vierge? Pourquoi une noire et une blanche et non pas une rouge, verte, bleue violette..., de toutes les couleurs du spectre solaire?"

"Une couleur, qu'est-ce que c'est? Oui, d'accord, la science explique la nature des vibrations infinies que nous percevons avec nos sens limités... et nos appareils de détection qui le sont un peu moins! Seulement, cela ne me satisfait pas. J'en ai le droit, non ?"

"La science, la science! Elle ne sait pas tout; heureusement d'ailleurs. Il n'y a qu'à voir l'usage qu'en font les hommes... Edifiant, n'est-ce pas? Bon."

Elle secoua sa longue chevelure et décida de s'asseoir sur le banc de prière, tout à côté. Après avoir étendu ses jambes et croisé ses mains, elle se perdit dans la rêverie.

"La statue est blanche car je la perçois comme telle, mais à l'intérieur, quelle est sa couleur? Ah!"

"A l'extérieur, elle est bien de cette couleur comme les gens qui manifestent une certaine façade honnête et vertueuse alors qu'ils sont parfois corrompus à l'intérieur d'eux-mêmes. Cette statue, serait-elle noire à l'intérieur?"

"C'est grave, car je tiens un langage subversif; si ma concierge le savait..., je serais sûrement habillée pour l'hiver."

"Non, pas de morale."

Elle se morigéna pour cette faiblesse. Certes, la majorité des personnes, si elles savent nager, ne savent pas plonger néanmoins. Autrement dit, elles ne vont jamais au fond des choses, à l'intérieur des êtres. Ce n'est pas une raison pour se croire supérieure à elles. Elle fit aussitôt son autocritique, muette mais sans concession.

"Revenons à la statue. Si elle est blanche c'est parce qu'elle absorbe toutes les couleurs du spectre solaire, sauf le blanc qu'elle rejette. Ouh! Qui m'en a soufflé l'idée?"

Elle tourna la tête mais ne vit personne à côté d'elle. Elle continua:

"Cette idée, d'autres l'ont sûrement eue avant moi! C'est sûr et certain. Cela n'enlève rien à sa valeur ni y ajoute. Je constate et c'est tout."

"Par conséquent, et si je ne déraisonne pas, la couleur blanche de la Vierge Marie désigne... ce qu'elle n'est pas! En réalité elle est le contraire à son intérieur, c'est à dire noire. Est-ce grave?"

La jeune femme s'agita sur son banc et se leva pour retourner, lentement, vers la crypte où se trouvait la Vierge noire. Elle s'assit devant la statue et reprit ses réflexions.

"Pauvre Vierge noire, pourquoi a-t-on fait de toi une petite statue, minuscule par rapport à l'immense Vierge blanche? Pourtant tu es comme l'autre, pareille. Mieux peut-être et je vais te confier mes raisons. Chut! C'est entre nous deux et tu en garderas le secret. D'accord?"

Elle se surprit à la tutoyer et en fut tout étonnée. Elle lui parlait comme à une grande amie qu'elle voulait consoler de l'ignorance des hommes. Ces hommes qui ont toujours cru tout savoir et voulu imposer aux femmes (les véritables initiatrices du monde), leur pseudo supériorité.

"Oui, écoutes-moi Oh ISIS. Tu as raison de garder ton voile noir sur le visage et de ne le découvrir qu'à tes Amants... de Vérité. Tu es noire à l'extérieur, mais blanche à l'intérieur. Tu parais la couleur que tu n'es pas, en vérité. En toi se trouvent toutes les couleurs du spectre solaire et tu les rayonnes à l'intérieur. Les humains, aveuglés par ta lumière, ont perdu la vue et sont tombés dans les ténèbres de l'ignorance. C'est pour cette raison qu'ils te perçoivent noire. Les hommes sont bêtes."

Un flot d'amour courut de la jeune fille aux yeux couleur d'orage et dont les abysses s'ouvraient sur des étoiles flamboyantes, vers la Vierge noire; alors le temps se ferma et engloutit l'espace.

La déesse ISIS s'anima, grandit et absorba la crypte pour emporter la jeune fille dans un instant d'éternité. Aussitôt la voix de la Sagesse éternelle résonna en notes de feu.

"Écoutes, ma fille. Le blanc et le noir, c'est pareil, tu sais. La statue blanche et l'autre noire que tu as vues sont identiques. L'extérieur et l'intérieur, le pour ceci et le contre cela, le vide et le plein, l'infini et le fini, tout cela n'est que la manifestation duelle d'une seule et même réalité: le SOI."

"Écoutes encore, ma fille. Tu es mon fils, tu es ma fille! Tu es les deux, mâle et femelle à la fois quand tu deviens le SOI. Tu es Elle, la blanche, et tu es Elle, la noire. As-tu compris?"

Dans un éclatement de tonnerre le temps se rouvrit et l'espace rejaillit. La jeune femme "atterrit" dans la crypte et retrouva la Vierge Noire, comme une gemme dans un écrin de lumière.

Elle vibrait de toutes ses cellules, d'une énergie inconnue, apocalyptique. Elle entendait une symphonie fantastique qui lui murmurait:

"Ni noire, ni blanche; alors tu ES!"