lundi 18 février 2013

La mort du lapin



LA MORT DU LAPIN
(Toussaint 1981)

"Tant que les hommes massacreront les bêtes, ils s’entretueront."


PYTHAGORE


"Il y a, dans le regard des bêtes, une humilité profonde et doucement triste qui m’inspire une telle sympathie que mon âme s’ouvre comme un hospice à toutes les douleurs animales."


Francis JAMMES


« Mon frère arrive », grince la femme dans la cuisine;
« Il va tuer le lapin »!

Des pas retentissent, lourds et pesants,
Dans la cour.

Un grognement d’homme:

« Ah ! Le voilà » !

Chant 1

« Lapin, je te connaissais bien.
Tu m’avais apprivoisé.
J’étais donc responsable de toi.
Chaque jour tu t’approchais davantage de moi. »

Des cris minuscules, révoltés, jaillissent,
Dans le grand silence.
Le temps s’arrête.
La femme est partie vers son frère.

Chant 2

« Lapin, tu m’aimais chaque jour davantage.
Je lisais une petite lumière qui s’allumait, brillait
Dans ton regard. »

J’écoute l’inéluctable, tendu,
L’âme aux abois.

Chant 3

« Non, lapin, ne te laisse pas tuer.
Prends de ma force, prends-la !
Lapin, tu grandissais sans cesse.
Une présence t’emplissait au fond,
Au tréfonds de toi. »

Le bourreau n’arrive pas à faire son sinistre travail.

Le lapin devient démon.

« Ah! Il ne se laisse pas faire », grince la femme.
« Je ne comprends pas ; d’habitude il est si gentil » !
« Mais que se passe-t-il donc » ?

Chant 4

« Lapin, écoute-moi.
Je suis avec toi ; venge-toi !
Mais je te sens là.
Tu n’es plus seul, seul. »

Il est mort.
Un grand silence noir chute.
Souffrance inouïe.
Glas inaudible de l’instant qui meurt.
Dépouille clouée sur une poutre.
Misérable croix de chair écartelée, pantelante.
Communion dans l’horreur.
Ma pensée déchirée.

Chant 5

« Que le sang du bourreau serve l’holocauste! »

Force pensée.

« Aïe ! J’ai mal », lance l’homme qui s’est entaillé le doigt jusqu’à l’os.
Le sang de l’homme coule aussi,
Source rouge de la vie,
Se mêlant à celle du lapin.

Mélange eucharistique.
Osmose alchimique.
J’ai peur de ma pensée.
Alors j’ai soigné ce doigt ridicule,
Niais.

Et l’immense silence rédempteur,
Blanc,
Tombal,
Tomba.

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